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Des îles dans l’histoire (IV) : Capri

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Capri, un rêve méditerranéen.

Un article de Brigitte Marin.

 

Dans le golfe de Naples, Capri, petite île d’à peine plus de 10km2, à la différence de Procida caractérisée par sa culture maritime historique et les métiers de la mer, incarne une autre forme d’identité insulaire méditerranéenne. Celle-ci prend ses racines dans le romantisme, et Capri devient au cours des deux derniers siècles, une des îles de Méditerranée les plus célébrées pour ses beautés naturelles. Elle inspire des témoignages littéraires et artistiques d’une rare richesse.

Cette abondance de légendes, de récits et d’images plonge ses racines dans la brillante période que l’île a connue sous l’Antiquité, comme lieu de prédilection des empereurs à partir d’Auguste. De retour des campagnes d’Orient, ce dernier aborde pour la première fois les rivages de Capri, où il vit « les branches d’un chêne séculaire, languissantes et déjà courbées vers le sol, reprendre vie à son arrivée » (Suétone). Cet heureux présage devait lier intimement le fondateur de l’Empire à cette petite île discrète, incorporée au domaine impérial, sur laquelle se seraient progressivement élevée douze somptueuses villas. Tibère, à son tour, manifesta une vive passion pour cette île au relief escarpé et d’accès difficile. Agé de 68 ans, il abandonna Rome pour s’y retirer durant une dizaine d’années, en 27-37 de notre ère, loin des intrigues de la cour, dans un splendide isolement, propre à alimenter la légende de ses débauches et de sa folie sénile, comme Suétone et Tacite nous en ont laissé le récit. Il fit édifier sur une hauteur un monumental palais-forteresse dont les vestiges imposants, la Villa Jovis, constituent un des attraits touristiques actuels.
Ces fastes anciens ont nourri la fascination que l’île a exercée sur les élites européennes à partir de la fin du XVIIIe siècle. Les demeures antiques furent souvent fouillées, sans méthode, dès la fin du XVIIIe siècle pour en extraire statues et autres œuvres d’art recherchées des collectionneurs. Il n’en subsiste que de modestes vestiges.

Avec la chute du dernier empereur d’Occident, Capri perdit son statut juridique de possession impériale. L’organisation territoriale romaine, avec ses nombreuses villas, déclina lentement et s’ouvrit alors dans l’histoire de Capri une longue parenthèse d’abandon et d’isolement. Des couvents et quelques fortifications s’y installèrent à partir du Xe siècle, la Chartreuse en 1371. Ce couvent fut reconstruit à l’âge baroque, au moment où l’île accueillait de nouvelles fondations monastiques, comme celle des Carmélites. Au XVIIIe siècle, l’église San Michele est élevée à Anacapri sur un projet de l’architecte Antonio Domenico Vaccaro ; son pavement (Adam et Ève chassés du Paradis) est un chef-d’œuvre de l’art napolitain de la majolique de Leonardo Chiajese.
En dépit de la prospérité de quelques couvents, en particulier de la Chartreuse, la population de l’île, exposée aux actes de piraterie – le château d’Anacapri porte le nom de « Barberousse », grand amiral de la flotte ottomane, en souvenir de l’assaut de 1535 –, décimée par la peste de 1656, vécut des siècles troublés dans des conditions économiques et sociales précaires.

C’est à la fin du XVIIIe siècle, sous les Bourbons, que s’annoncèrent, pour cette petite île assez misérable, les premiers ferments d’une reprise. Le roi y faisait en effet, pour la chasse aux cailles, de longs séjours qui réactivèrent l’intérêt de l’aristocratie pour Capri. Les fouilles des vestiges romains, la « découverte », par l’écrivain August Kopisch guidé, en 1826, par le pêcheur capriote Angelo Ferraro, de la Grotta azzurra, un ancien nymphée romain, suscitent l’intérêt des élites européennes et l’île commence à devenir une station touristique privilégiée. Capri entre alors en littérature et devient un haut-lieu de la culture romantique. Selon Norman Douglas (1911), c’est la promotion de la Grotta azzurra « qui a fait Capri […] elle a créé des hôtels, des vapeurs et des routes carrossables ; elle a rempli d’or les poches des paisibles insulaires, transformant des chevriers nu-pieds et nu-tête en galants parisiens à col empesé […] c’est elle encore qui a suscité la construction du funiculaire ; elle a parsemé l’île de villas pour étrangers excentriques ».

Dès la première moitié du XIXe siècle, Capri se transforma en un lieu singulier d’inspiration artistique et littéraire. Terre des Sirènes et des fastes impériaux, espace d’harmonie entre l’homme et la nature, Capri devint le rendez-vous d’une élite cultivée d’écrivains, de poètes et d’artistes étrangers. A partir des années 1860, la barque qu’il fallait louer pour se rendre sur l’île peut être remplacée par les premières navettes, au départ de Sorrente.

A la fin du XIXe siècle, Capri, par sa population d’étrangers résidents et de passage, est devenue une île où se sont forgés un style de vie et des codes sociaux en décalage avec ceux des classes bourgeoises européennes. De jeunes aristocrates fortunés en rupture de ban, aux mœurs condamnées par la société de l’époque, y trouvent refuge et y forment une petite société d’expatriés dont les « scandales » viennent conforter la réputation licencieuse des lieux. Le mythe cosmopolite de Capri, consolidé par le nombre d’artistes, d’intellectuels et de milliardaires excentriques qui y ont établi leur résidence, constitue un attrait supplémentaire pour le tourisme d’élite.

Au XXe siècle, les touristes commencent à affluer – on compte 30 000 arrivées en 1905 –, transformant profondément l’économie de l’île où se multiplient les hôtels, les restaurants et les boutiques de souvenirs. L’île est désormais fréquentée toute l’année, y compris l’été. Après la Première Guerre mondiale, elle s’affirme comme destination touristique des Italiens eux-mêmes, accueillant bientôt plusieurs centaines de milliers de visiteurs chaque année. Leur nombre se monte jusqu’à plus d’un million dans les années 1960 et encore trois fois plus en 1980. Si le mythe artistique et littéraire tend à s’émousser devant les flux touristiques de masse, références et réminiscences intellectuelles ou mondaines demeurent, tout comme les traces matérielles de quelques luxueuses résidences, dont la Villa Lysis, restaurée et maintenant accessible au public (voir prochain article « Rencontres à Capri »).

Pour un texte plus détaillé : B. Marin, « Capri », dans Naples, Paris, Citadelles et Mazenod, 2010.

 

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